Les enregistrements. Contextes et commentaires

Nous n’avons, à ce jour, pas retrouvé les bandes magnétiques sur lesquelles Michel Meilhac s’était enregistré. Un certain nombre de pièces, signalées par Bernard Meilhac sur des tableaux maintenant obscurs, semblent perdues. Les quatre heures et vingt minutes mises en ligne ici correspondent, par ordre plus ou moins chronologique, à des 78 tours conservés par la famille, aux enregistrements de Robert Dagnas en 1959 et 1960, et à des compilations sur cassettes réalisées autrefois par Bernard Meilhac.

33.jpg
Tableaux de Bernard Meilhac

34.jpg

A. Les 78 tours

Les 5 premiers 78 tours m’ont été prêtés en août 2019 pour numérisation. Ils étaient en très mauvais état, en grande partie délités et parfois avec le bord cassé. Deux autres exemplaires ont été totalement irrécupérables.

Les doubles qu’avait gardés pendant quelques années M. Villalonga, à Seilhac, avaient finalement été jetés, présentant les mêmes graves détériorations.

35.jpg
Un des 78 tours

Les 3 premiers disques (1952).

Pour les 3 premiers disques présentés ici, enregistrés le 28 septembre 1952, Michel Meilhac avait fait appel à une jeune fille de 14 ans, Jacqueline Peyrat, habitant, comme lui à cette époque, Saint-Salvadour, elle au village de La Chapouille, et sans lien de parenté avec Léon Peyrat, le violoneux du village de Roux, qui devait offrir, près de trois décennies plus tard, un immense et très beau répertoire aux collecteurs revivalistes issus du mouvement folk [1].

Les interprètes ont choisi deux chansons tristes de soldats dont la fiancée est morte à leur retour au pays « Après sept ans d’absence » et « Sont trois jeunes garçons », une autre chanson traditionnelle qui a été par ailleurs un des grands succès de Jean Ségurel « La fille du fermier », une suite de marches de noces empruntées également à Jean Ségurel, « Village limousin » une composition de Ségurel et Jean Leymarie, écrite au retour de captivité de ce dernier, et une des propres compositions de Meilhac « Corrèze ô mon pays ».

36.jpg
Les 78 tours de 1952

37.jpg

38.jpg


Meilhac a théâtralisé deux des enregistrements : sur l’un il joue le rôle d’un grand-père qui arrive dans une veillée et demande à une jeune fille de lui chanter une chanson (« Après sept ans d’absence ») et pour un autre il a écrit un dialogue plus ou moins cocasse destiné à introduire des marches nuptiales. Ce « sketch d'une noce limousine » est la copie, à peine adaptée, d'un enregistrement de Jean Ségurel datant de 1939. On constate au passage dans le dialogue que la prononciation en limousin de « Meilhac » était, pour lui, « Milla ». On observe aussi qu’en 1952 son écriture de l’occitan est encore totalement phonétique.

39.jpg
Manuscrit des marches de noces

Il est possible que Meilhac ait appris à Jacqueline Peyrat des chansons qu’il tenait de sa propre mère. Mais on ne peut pas en être certain, d’autant plus que celle intitulée ici « Après sept ans d’absence » était connue, en partie, de Léon Peyrat : « J’étais parti le cœur plein d’espérance », plage 53 ici : https://la-biaca.org .

Les paroles de « Corrèze ô mon pays », au-delà de ce qui pourrait apparaître comme un cliché, dans la lignée des célèbres « Bruyères corréziennes » déposées en 1936 par Jean Ségurel à la SACEM, révèlent des éléments autobiographiques d’une sincérité touchante.


40.jpg
Partition de « Corrèze ô mon pays »

Les choix de tonalités de Meilhac n’ont guère épargné la jeune Jacqueline. Dans « Village limousin » elle doit monter au sol aigu et ne le fait pas sans peine. Il en va de même pour les marches de noces même si le musicien, en optant pour un ton de do au lieu de ré, sur un violon accordé normalement, lui a évité le la. Il est totalement à l’aise avec ce doigté inhabituel et, pour la ritournelle aigüe de « La fille du fermier », on entend qu’il monte sur le manche en 5e position.

1953 ou 1954. A04 – A05

Les 4e et 5e disques semblent avoir été enregistrés fin 1953 ou en 1954. Leur état de conservation était encore plus dégradé que celui des 3 disques précédents.

La « Valse à Nénard », que Michel Meilhac avait dédiée à son fils Bernard, avait été composée en 1947 à Jourgnac et « Souvenirs de Saint-Salvadour » date de 1950. Contrairement à « Corrèze ô mon pays », ces deux valses-là n’ont pas de paroles. Pourtant celles du répertoire musette en avaient presque toujours, et le répertoire traditionnel des violoneux limousins était en quasi-totalité constitué de chansons, indissociables pour les musiciens de leurs versions instrumentales. Les pratiques initiées par les collecteurs des années 1970 ont fait oublier cette caractéristique pourtant fondamentale des airs recueillis.

41.jpg
La Valse à Nénard

42.jpg
Souvenirs de Saint-Salvadour

Quelques similitudes entre « Souvenirs de Saint-Salvadour » et la « Valse de Saint-Salvadour » de Léon Peyrat (plage 2 ici : https://crmtl.fr/) interpellent. Les mélodies sont suivies de ritournelles et, dans les deux cas, celles-ci témoignent d’une culture entretenant des liens très distants avec le monde de la musique tonale : les formules choisies rappellent des alternances d’accords de tonique et dominante, mais rien n’est « carré » : les doigtés jouent un rôle totalement structurant dans la construction.

Il est troublant de penser que les très grands violoneux qu’ont été Léon Peyrat et Michel Meilhac ont habité tous deux Saint-Salvadour, pendant 4 ans, de septembre 1949 à septembre 1953, puis se sont probablement croisés à nouveau quand la famille Meilhac revenait à la maison de Chevant. Comment percevaient-ils leurs jeux respectifs ? Meilhac, qui habitait un logement de fonction lorsqu’il était le receveur et facteur de la commune, emportait son violon quand il allait veiller chez Magnaval, au bourg, ou chez Jean Peyrat, le père de Jacqueline, à La Chapouille. Léon Peyrat semble l’avoir entendu – on ne sait pas dans quelles circonstances – et le considérait comme un virtuose. Mais Meilhac a-t-il eu, lui, l’occasion d’écouter Léon Peyrat, à une époque où il n’était plus question, partout, que d’accordéon ? Les univers des deux musiciens étaient peut-être trop différents pour qu’il y ait véritable rencontre.

43.jpg
La valse de Saint-Salvadour de Léon Peyrat, retranscrite en graphie actuelle par Jan dau Melhau

Une histoire drôle en « patois » sépare les deux bourrées du disque N° 4.

Le 5e disque est plus grand que les précédents et la durée de chaque face passe d’environ 3 à 4 minutes. Il est possible que M. Villalonga se soit équipé d’une nouvelle machine à cette époque. On remarque sur la 1e face la glissante que Michel Meilhac appellera par la suite « Glissante des grands-papas ». Globalement, ces quatre danses, très bien menées et richement ornementées le seront encore davantage lors des enregistrements ultérieurs.

La face du pot-pourri de bourrées est malheureusement très endommagée. La plupart des mélodies seront à nouveau enregistrées plus tard, sur bandes magnétiques, sauf la 2e d’entre elles dont c’est le seul témoignage dont nous disposions. Chaque bourrée est jouée deux fois ce qui ne sera plus le cas ensuite pour les pots-pourris.

La « Mazurka des grands-mères » apparaît ici pour la 1e fois. Transmise probablement par Michel ou par René Meilhac, son frère, au cabrettaire Raymond Buche, instituteur collègue de Berthe Meilhac, épouse de René, elle fut, plus tard, apprise auprès de Raymond Buche par les musiciens du groupe lyonnais La Bamboche. Elle avait alors perdu son caractère ternaire et a connu par la suite de nouveaux succès au sein du mouvement revivaliste sous l’appellation « Mazurka de Lapleau », ainsi qu’elle est nommée sur leur premier disque Le tailleur de pierres, en 1975.

Deux courtes pièces. A06

Nous n’avons pas retrouvé de disque physique pour « Les Triolets » et « Retour de Liège ». Bernard Meilhac avait recopié ces deux extraits sur une cassette de famille. C’est le seul témoignage qui nous soit resté de la façon dont son père interprétait le répertoire musette. Le jeu, synthétisant des éléments stylistiques qu’on aurait pu penser opposés, est magistral. Et on songe avec un peu de regret à « Perles de Cristal », un autre de ses airs de bravoure, dont nous n’avons aucune trace.

Le 78 tours de 1958. A07

Il avait été enregistré en exemplaire unique à Radio-Limoges et a été recopié sur cassette à une époque où il était encore en bon état. C’est un véritable bijou. Le musicien y est éblouissant de maîtrise.

Les intitulés des pots-pourris de bourrées sont un peu surprenants : pourquoi avoir qualifié d’auvergnates « La Courbiase » et « La Bourrée sur les quatre cordes » ? Quant à « La Zarvègia » (La Jarvejia ?) qui ouvre le pot-pourri de bourrées limousines, c’est une composition envoûtante de Meilhac lui-même. Mais que signifie ce titre ? Pour Bernard, on aurait pu le traduire, sommairement, par « La Bizarre » mais sa connaissance de l’occitan n’était pas suffisante pour qu’il puisse être plus explicite.

B. Le 45 tours

1960

On a là une curiosité plus qu’une réussite. Deux fortes personnalités musicales se rencontrent sans être réellement compatibles. Les contrechants de Gaston Rivière, à base de tierces et sixtes, pour lui indispensables à toute interprétation crédible de musique traditionnelle, étaient étrangers à l’esthétique de Meilhac. Et les coups de poignet du vielleux, très rigides, écrasent l’interprétation rythmique du violon, transformant totalement des mélodies enregistrées ailleurs de façon fluide et souple.

Le disque devait être suivi de deux autres mais ce fut un échec commercial et l’aventure s’arrêta là. Dans ses Mémoires [2], Gaston Rivière ne parle pas de cet enregistrement. Seule une ligne de sa discographie y fait allusion, p. 180 : « Accompagnement de l’ensemble Meilhac de Limoges sur disques Philips ».

Michel Meilhac aurait aimé qu’outre son fils Bernard, son frère René se joigne à eux, mais ce dernier s’effaça devant son professeur de vielle. Le groupe de Gaston Rivière, Les Troubadours Montluçonnais, faisait, comme celui de René Meilhac, l’École Ventadour, partie de La Fédération du Centre, sixième région, adhérant elle-même à la Confédération nationale des groupes folkloriques français. Jeanne Meilhac, l’épouse de Michel, avait participé, elle, à l’enregistrement en émaillant les bourrées de ses très nombreux « Ihouhou ! ». Et c’est Bernard Meilhac qui avait suggéré à son père d’inviter le cabrettaire Jean-Louis Fournier à se joindre à eux. Les deux jeunes hommes avaient fait connaissance lors d’un voyage aux Pays-Bas.

La photo de la pochette du 45 tours, n’ayant rien à voir avec le répertoire joué, a été un choix des disques Philips eux-mêmes.

44.jpg
La pochette du 45 tours

45.jpg
Verso



46.jpg
Jean-Louis Fournier à la cabrette et Bernard Meilhac au violon, dans le jardin de la poste, à Magnac-Bourg

C. Les enregistrements de Robert Dagnas

De la fin des années 1950 au début des années 1970, bien avant la vague revivaliste ou régionaliste des jeunes musiciens des années 1970 et 80, Robert Dagnas (1922-1976) parcourut les campagnes limousines à la recherche de chanteurs et musiciens traditionnels qu’il enregistrait pour son émission « Chez nous » diffusée chaque semaine sur Radio Limoges. Sa démarche de collecte s’articulait, par ailleurs, avec ses activités au sein du groupe folklorique « Les Veilladours de Saint-Junien » dont il a été président pendant de nombreuses années.

Après quinze ans de péripéties diverses, un ensemble d’environ 450 bobines que nous avons intitulé « Fonds Dagnas » a pu être récupéré, au milieu des années 1990. J’ai numérisé en juillet 2005 les 3 bandes présentées ici. En 2012, l’IEO a décidé de confier à un technicien professionnel, Fabrice San Juan, la numérisation de l’ensemble du fonds, suivie de la mise en ligne progressive et efficace, par Pascal Boudy des émissions et des collectes de Robert Dagnas sur le site La Biaça. Il s’agit là d’un ensemble sonore d’une valeur inestimable.

1e bobine. 21 avril 1959. C01

C’est la première fois que Robert Dagnas enregistre Michel Meilhac.

Il est manifestement en demande de répertoire corrézien et on sent une petite réticence lorsque le musicien annonce « l’Aurillacoise ». Les belles bourrées en pot-pourri, pour certaines d’entre elles clairement cantaliennes, qui ouvrent la bande se sont vu, de ce fait, attribuer des appellations inhabituelles. La 3e pièce de l’enchaînement, que Meilhac appelle « La Revelhada » sur ses notes est devenue « La Sentrianauda » (La Xaintriacoise) et la célèbre « Vicoise » est rebaptisée « Sur los bòrds de la Jordana ». Il est amusant de constater que la trilogie « TricotadaRevelhada - Vicoise » a été en fait empruntée, dans cet ordre, à l’accordéoniste Tonin Troupel né, comme Michel Meilhac, en 1911. On entend d’ailleurs dans le dossier C03 Meilhac jouer en même temps que le disque Bourrées auvergnates (33 tours publié chez Barclay), publication récente en 1959 puisque Tonin Troupel n’aurait rencontré Barclay qu’en 1954 [3]. Et on retrouve d’autres interprétations de ces trois mêmes bourrées sur les cassettes familiales (dossiers E01 et E02).

Pour la première fois dans la chronologie que nous avons pu établir, le violon de Michel Meilhac est accordé la-mi-la-mi, ce qui lui permet de passer d’une octave à l’autre avec le même doigté. Il intègre à cet enregistrement des éléments venus du corpus partagé par les groupes folkloriques. On reconnaît en particulier la classique « Chabra bura » qui reprend l’enchaînement de deux danses différentes mises en scène par Les Chanteurs et danseurs limousins de Paris dont le répertoire a été publié en 1943 par Roger Blanchard [4].

« La Grande » est jouée dans la version d’Henri Momboisse et il est étonnant de constater à quel point le jeu de Michel Meilhac (ornements, sauts d’octaves) en est imprégné. Mais sa mémoire a transformé la ritournelle en la simplifiant et la raccourcissant.

Notons par ailleurs que lorsque Meilhac note cette valse dans un petit recueil de partitions, il l’intitule « Valse limousine » !

47.jpg
La Grande devenue « Valse limousine »

« L’Aurillacoise » provient aussi de Momboisse mais, d’une variation de ritournelle que l’accordéoniste jouait passagèrement, le violoneux a fait une 3e partie structurelle.

En fin de bande, on entend pour la 1e fois (le 45 tours sera enregistré plus tard) Bernard jouer à l’octave grave de Michel Meilhac. Son jeu est plus simple, moins ornementé et d’un rythme plus binaire que celui de son père, qui tend vers le ternaire.

2e bobine. Mai 1960. C02

Pour sa deuxième visite, Robert Dagnas est accompagné d’un technicien.

Dans son émission du 4 juin 1960 (https://la-biaca.org/), il évoque à la fois cet enregistrement, la sortie du 45 tours chez Philips et la félibrée de Châteauneuf-la-Forêt, ce qui nous permet de dater la bande de mai 1960.

Le début en est coupé et il nous manque peut-être, au minimum, deux bourrées qu’on entend dans des émissions Chez nous (https://la-biaca.org/ et https://la-biaca.org/) et dont nous n’avons pas d’autre enregistrement.

Ce qui intéresse Robert Dagnas avant tout, ce sont des souvenirs de la jeunesse corrézienne du musicien. Celui-ci a préparé une liste de morceaux différents de ceux déjà enregistrés un an plus tôt et on les entend en discuter. On remarque que certaines pièces, peu connues des groupes folkloriques (« La Couturière », « Viva los Naves », « Minjaras dins l’escuela de boesc »...) sont également au répertoire du groupe La Bourrée limousine, de Brive, au sein duquel Raymond Buche était cabrettaire (https://la-biaca.org/). Qu’en penser ? Est-ce Meilhac qui a appris ces morceaux à Buche ou l’inverse ? Pour le moment, nous ne pouvons pas répondre à cette question.

La version de la valse « Le rossignol », plus courte que d’autres, est proche de celle de Martin Cayla, dont Meilhac avait la partition dans ses archives, sans être absolument identique à elle. C'est en fait, celle que Jean Ségurel a gravée chez Odéon le 17 juin 1955, avec pour mention « Arrangement Jean Ségurel et Martin Cayla ».

48.jpg
« Lou roussignol » de Martin Cayla

Avant la très belle version de la bourrée « Pichon pomier de ròsa » – à rapprocher de « Amusons-nous fillettes » de Marie Marinie qui habitait Saint-Geniez-ô-Merle, en Xaintrie, à 14 km de Darazac – on entend Meilhac proposer à Dagnas de l’inclure dans un enchaînement. Ce dernier refuse, malheureusement pour nous, car les pots-pourris de Meilhac sont tous des moments particulièrement remarquables.

Dagnas et Meilhac n’ont plus, en 1960, une perception claire de ce que sont mazurkas et scottishs. Ces danses ont disparu des bals populaires et ne sont pas encore au répertoire des groupes folkloriques. Elles ne seront à nouveau pratiquées qu’à la fin des années 1970, dans le milieu des bals folk. On ne sera donc pas étonné d’entendre « Le voilà le petit gamin », une mazurka, présentée comme scottish [5].

Le violon est ici à nouveau accordé la-mi-la-mi, sauf sur « La bourrée sur les 4 cordes » pour laquelle le musicien a probablement changé d’instrument.

49.jpg
Paroles de la Marche des conscrits

3e bobine. C03

Comme les deux autres, cette bande magnétique a été retrouvée dans les 14 cartons du « Fonds Dagnas ».

Elle n’a pas été utilisée pour les émissions « Chez Nous » et on n’y entend jamais Robert Dagnas. Il semble donc probable que cette bobine lui ait été donnée par Michel Meilhac qui aurait réalisé lui-même les enregistrements.

Ceux-ci sont divisés en plusieurs sections.

On a d’abord 6 danses où Michel et Bernard Meilhac jouent à deux violons, à l’octave, accordés tous deux la-mi-la-mi. L’assise solide donnée par Bernard permet parfois à son père de s’amuser à des variations plus ou moins exubérantes, comme dans « La chabra bura ».

50.jpg
Bernard et Michel Meilhac en duo

Ensuite vient un ensemble de pièces très soignées, avec frappements de pieds discrets, où Michel Meilhac est seul. Sa « Bourrée sur les 4 cordes » est impeccable. La reprise de « La Varsovienne », à la fin de ce passage, est peut-être destinée à la présentation de variations qu’il avait omises précédemment.

Puis, comme ç’avait été le cas avec un des 78 tours, c’est la théâtralisation d’une veillée traditionnelle qui est enregistrée. Une chanteuse, appelée « Cathie », qui tousse plusieurs fois lorsqu’elle ne chante pas, n’est manifestement pas très en voix ce jour-là. Elle ne semble à l’aise que dans un registre allant du sol grave au sol de l’octave au-dessus, et c’est probablement pour cette raison que Meilhac a accordé son violon sol-ré-sol-ré. Pour la 1e fois dans notre chronologie, il chante, lui aussi, en même temps qu’il joue. Entre les chants, il y a un moment de danse et c’est le seul passage, de tous nos enregistrements, où Michel Meilhac est en situation de jeu, soliste, pour des danseurs. Les tempos des bourrées, qui sont en général de 82 environ à la mesure semblent ici un peu moins rapides.

Après une mélodie jouée sur le violon toujours accordé en sol-ré, « La Courbiase », puis un noël sur un violon accordé la-mi-la-mi, arrive un passage où Meilhac joue en même temps que l’enregistrement d’un accordéoniste. L’enchainement de 3 bourrées est celui qui a été au cœur du pot-pourri de 1959 (Dossier C01) : La TricotadaLa Revelhada – La Vicoise. L’accordéoniste est, nous le savons, Tonin Troupel né en 1911, à Paris, de parents auvergnats.

D . Compilation effectuée par Bernard Meilhac en décembre 1982

C’est en décembre 1982 que j’ai rencontré Bernard Meilhac (1938-2004) pour la première fois. Je préparais alors un mémoire de maîtrise en musicologie sur le violon traditionnel en Limousin, mémoire que j’ai soutenu à l’Université de Paris-Sorbonne en 1983. Il fut très heureux de cette rencontre et soulagé de constater que son père, décédé en 1967, avait laissé des souvenirs suffisamment admiratifs pour que je sois partie à sa propre recherche. Il me fit alors écouter quelques 78 tours, gravés en exemplaires uniques. Il avait manifestement l’habitude de jouer lui-même du violon en même temps, ce qui m’alarma un peu car ils étaient déjà bien usés. Il me promit de compiler pour moi une cassette à partir de certains de ces 78 tours et des enregistrements que son père avait réalisés sur un magnétophone. Il me remit rapidement la cassette promise, et mis à part celles du 78 tours de 1958 et du 45 tours de 1960, les copies étaient de très mauvaise qualité, sur une seule piste de la stéréo avec un bruit électronique très fort sur l’autre. J’ai transformé le son de la piste sonore audible en piste stéréo, ce qui explique la médiocre qualité sonore de ce dossier, dont j’ai par ailleurs enlevé un certain nombre de pièces faisant doublon avec d’autres contenus présentés précédemment.

De 1982 à 2005, date de ma numérisation des bandes du « Fonds Dagnas » cette cassette a été le seul enregistrement de Michel Meilhac dont nous disposions.

Elle s’ouvre par un texte lu par Bernard, tendant à réhabiliter, comme il le fera aussi dans plusieurs articles de la revue Lemouzi, la place des violoneux dans le paysage de l’Auvergne et du Limousin, à une époque où les groupes folkloriques valorisaient surtout cabrettes et vielles à roue. Par la suite, un certain nombre de plages sont présentées, soit par Bernard, soit par Michel Meilhac lui-même.

On remarque, parmi de nombreuses pièces dont on n’a pas d’autre enregistrement par ailleurs, l’enchainement de 2 polkas jouées de la même façon par Martin Cayla sur un 78 tours, la première étant un standard « Quand lo merle sauta al prat » et la seconde ayant souvent été appelée, dans les milieux revivalistes « Polka du Père Ladonne ». Sur le disque de Cayla elle est simplement intitulée « Air auvergnat ».

Notons aussi la version de « Dites-moi donc enfant aimable » que Meilhac tenait de sa mère et dont il donne tous les couplets. Il s’agit du type 5304 que Coirault a répertorié sous le titre « La tache de raisin ». Comme d’autres versions de cette histoire, en Limousin ou ailleurs, elle est portée par un rythme asymétrique, comparable, dans notre corpus, à celui de « Les filles sont comme les roses » (Dossier E01) [6]. Nous avons ici, également, une version de 12 couplets du « Soldat de 28 ans », répertorié par Coirault comme le type 9611 « Le fils soldat assassiné par ses parents ». Dans le dossier C01, il y en avait seulement 6.

Trois plages où jouent ensemble Michel au violon et René à la vielle ont été gardées, bien que reprises sur la cassette « Souvenirs de famille » (Dossier E02), leur qualité sonore étant meilleure ici. On sourira au passage de la petite moquerie au sujet de Ségurel qui ne serait pas arrivé à venir à bout de « La Courbiase ».

E. Les cassettes familiales

Cassette « Michel Meilhac ». E01

Cette cassette était un assemblage de différentes choses, dont un certain nombre d’enregistrements déjà présents ici dans d’autres dossiers. Nous ne les avons pas gardés. Elle s’ouvre par une présentation de Bernard Meilhac, expliquant qu’elle est destinée à accompagner l’article qui vient d’être publié dans Lemouzi [7].

Elle nous permet d’entendre Michel Meilhac lui-même parler de ses parents et de son apprentissage du violon. La passion qu’il avait déjà pour l’instrument est palpable, ainsi que celle pour le répertoire lorsqu’il parle de La Tricotada « bourrée magnifique entre toutes ».

Les extraits musicaux, tous intéressants, sont de qualité sonore inégale, et souvent médiocre.

Cassette « Souvenirs de famille ». E02

Là encore, seuls quelques passages ont été retenus.

Le jeu violon-vielle des frères Meilhac est particulièrement intéressant, la vielle de René semblant avoir toutes ses cordes, chien compris, montées en la. Il s’agit d’un accord très inhabituel mais les Meilhac n’en étaient manifestement pas à une initiative audacieuse près.

Le passage (à 25mn26), où Michel Meilhac s’adresse à une « Marissou » qui pleure, fait sans doute allusion à des paroles qu’il chante lui-même (dossier D à 52mn32) sur la mélodie qu’il va enchaîner ensuite : La Mariçon totjorn credava. Et pourtant, ce sont d’autres paroles, également fréquentes sur cette mélodie qui suivent : E quand las peras son maduras.

51.jpg
Monique, Michel et Jeanne Meilhac devant la maison de Saint-Salvadour

NOTES

[1] Merci à Ginette Peyrat, fille de Léon, pour toutes les riches informations qu’elle m’a transmises par plusieurs courriers électroniques en janvier 2022.

[2] Gaston RIVIÈRE, Mémoires et Souvenirs, Riom, AMTA, 1990.

[3] CD Tonin Troupel. Portrait de musicien, AMTA, 1996.

[4] Roger BLANCHARD, Les danses du Limousin et des régions avoisinantes, Paris, Maisonneuve, 1943.

[5] Je n’avais pas encore pu numériser les enregistrements de Dagnas lorsque j’ai publié, en 2001, le recueil Ai vist lo lop, etc. sur lequel je présente de façon erronée p. 156 – sur des indications de Bernard Meilhac peut-être mal comprises – « La Rossolana » avec « Le petit gamin » pour titre. Mea culpa.

[6] Voir Françoise ÉTAY, « La tache de raisin. Rythmes non isochrones et chanson traditionnelle française ». Article à paraître.

[7] Bernard MEILHAC, « Un violoneux pas comme les autres », Lemouzi 124, Octobre 1992, pp. 43-40.