L'état de la langue d'oc au Moyen Age était semblable à celui de la langue d'oil : elles ne se présentaient, ni l'une ni l'autre, sous une forme unifiée, mais leur aire d'extension était divisée en dialectes : il existait des dialectes français et des dialectes occitans. Le limousin, au même titre que le gascon, le provençal, l'auvergnat, le languedocien est un dialecte occitan (1). Mais réduire l'originalité des pays d'oc à leur seul aspect linguistique serait méconnaître l'exceptionnel éclat avec lequel a brillé la civilisation occitane dès le XI° siècle, tant sur le plan culturel que politique ou social.
Tout le monde connaît l'influence que la poésie des troubadours a exercé sur les littératures et la sensibilité du monde occidental. Ce que l'on sait peut-être moins, c'est que parallèlement à cette lyrique qui a atteint d'emblée les plus hauts sommets de l'art poétique, il existe une prose occitane fort riche qui touche à des domaines aussi variés que le droit, la médecine, les mathématiques, la grammaire, la littérature narrative et religieuse, etc. (2). Le limousin occupe une place privilégiée dans l’ensemble culturel occitan : il fut en effet, le berceau de la poésie lyrique d'oc : les premiers troubadours étaient limousins, et, tout naturellement, ils chantèrent la fin’amor en dialecte limousin. Que l'on songe à Bertrand de Born ou à Gaucelm Faidit, à Bernard de Ventadour ou à Guiraut de Borneil, il s'agit, dans tous les cas, de maîtres incontestés du trobar.
Leur influence fut telle que leurs successeurs, même lorsqu'ils étaient originaires d'une autre région, écrivirent souvent en dialecte limousin, et que le terme de lemosin désigna longtemps l'ensemble des dialectes occitans.
Le développement de la scolarisation après 1870, les méthodes qui furent alors employées afin « d’extirper les patois » (4), la diffusion de la presse écrite, puis audio-visuelle, tout cela explique qu'en fait la relative déculturation occitane soit un phénomène très récent ; et c'est là la source d'un double paradoxe : d'une part, cette langue a subi une répression d'une extrême rigueur pendant des siècles et pourtant on ne peut que constater la vigueur avec laquelle elle se manifeste aujourd'hui encore ; et d'autre part, nous sommes historiquement à l'époque où il y a le moins d'occitanophones, et pourtant c'est à un véritable essor que l'on assiste sur les plans de l'enseignement, de la littérature, de la chanson, etc.
En ce qui concerne plus précisément la région limousine (5), on sait que son économie a conservé un secteur agricole des plus importants et comme les usagers actuels de la langue d'oc sont avant tout les ruraux, on comprendra mieux pourquoi le dialecte limousin est loin d'être tombé en désuétude.
Ajoutons que la méthode que nous proposons ici est fondée sur la langue telle qu'elle est réellement parlée aujourd'hui dans notre province, mais il est bien évident que, comme pour l'apprentissage de n'importe quelle autre langue, une méthode audio-orale ne suffit jamais et que le contact vécu avec les limousinophones est indispensable. Nous aurions réussi dans notre tâche si le présent travail permettait justement d'établir avec facilité ce contact.
(1) Sur l'état dialectal de la langue d'oc, ancien et moderne, on pourra consulter le livre de Pierre Bec, La langue occitane, P.U.F. coll. Que sais-je ? 4° éd. Paris, 1977.
(2) Cette prose, dispersée dans des ouvrages d'érudition souvent épuisés, ou même inédite pour l'essentiel, était pratiquement inaccessible au public ; un ouvrage tout récent vient de pallier cette lacune : il s'agit de l'Anthologie de la prose occitane du Moyen Age de Pierre Bec, Aubanel, Avignon, 1977.
(3) On prendra une juste conscience de la situation linguistique des pays d'oc à la fin du 18° siècle dans les fameuses Lettres à Grégoire sur les patois de France (1790-1794), Slatkine reprints, Genève, 1969.
On verra qu'un sièce plus tard les choses n'avaient guère évolué en Limousin, en consultant le travail d'A. Corbin, Archaïsme et modernité en Limousin au XIX° siècle, 2 vol. Rivière, Paris, 1975.
(4) On en aura quelque idée dans le livre de Claude Duneton, Parler croquant, Stock, Paris, 1974,
(5) Sur les limites géographiques de notre dialecte, on se reportera à la carte page 14.
Le problème de l'orthographe.
La langue classique, celle du XIème au XVème siècle était graphiée d'une manière cohérente, avec une adéquation convenable entre les sons et les lettres, comme dans les autres langues romanes. Un exemple vaudra mieux que de longues explications : la voyelle du français ou est une voyelle unique, contrairement à ce que l'orthographe laisse croire : elle était notée par une lettre unique en ancien limousin : o, tout comme en espagnol ou en italien u
et en portugais o.
Mais cette orthographe, bien adaptée au code oral qu'elle transcrivait, a progressivement disparu à partir du XVIe siècle, le français, ainsi que nous l'avons vu, étant seul employé dans les écrits officiels. Aussi prit-on l'habitude d'écrire l'occitan au moyen du système graphique du français, qui, bien évidemment, n'était pas fait pour cela. On aboutit alors à une graphie « patoisante », où chacun écrivait comme il pouvait. C'est d’ailleurs en limousin, à la fin du siècle dernier, que l'on prit conscience de cette situation d'une
particulière gravité, car, non seulement elle enlevait toute dignité à la langue d'oc, mais elle empêchait son enseignement. Le limousin Joseph Roux préconisa, dès 1895, le retour à la graphie classique. C'est son œuvre, poursuivie et adaptée par Estieu et Perbosc, puis par Louis Alibert et aujourd'hui par l'Institut d'Études Occitanes, qui a permis la restauration d'une orthographe enfin efficace (6).
(6) Sur les problèmes orthographiques propres au dialecte limousin, on pourra consulter le Dictionnaire normatif limousin-français de G. Gonfroy, Lemouzi, Tulle, 1975 et L'ortografia occitana : lo lemosin de Pierre Desrozier et Jean Roux, Centre d'Etudes Occitanes, Université de Montpellier lil, 1974.
Signes de l'alphabet phonétique international utilisés dans le cours
voyelles
[i] | filh, riu | ||
[e] | é fermé | été | disetz, pés |
[ɛ] | è ouvert | forêt | freg |
[a] | a antérieur | sac | ala |
[o] | o fermé en frcs | pot | òme, pòst |
[ɔ] | o ouvert en frcs | fol | pòrta, davalar |
[u] | ou en frcs | loup | lop, amoros, balon |
[y] | u en français | tu, eu | burre, aüros |
[ə] | e muet | dans la diphtongue : eu [ə œ]: beu | |
[ɛ̃] | brin | fems | |
[y] [ã] [i] [u] |
òm, un, fum antan rasim montar |
consonnes
[p] [b] [t] [d] [k] [g] [f] [v] [s] [z] [ʃ] [ʒ] [m] [n] [ɲ] [λ] [r] |
pitit balon tu, antan dins, dedins mancar, quauque garnir, gaire freg, fau voler, avion cherchar, chas (comme le français son) gente, jamai (comme le français zéro) sorça, saber (comme le français chez) rason, zerò (comme le français jamais) matin una, naut nhòla filha (roulé) : dire, rentrar, burre |
diphtongues
[ə œ] [a o] [ɔ o] [ɛj] |
beu, beleu mau, fau mòu, fòu esperar, solelh, aiga, veire |
semi-voyelles
[j] [w] [ɥ] |
(yod = [i] consonne) fuòc, recuolar, liech [ljɛ] (= [u] = consonne) dans la triphtongue [w ɛj] bois, boirar [bwɛjra] ([y] = consonne) luenh, cuenh [kɥɛ̃] |