Après L'Occitan lèu-lèu e plan de Gaston BAZALGUES et Lo Gascon lèu e plan de Michel GROSCLAUDE, voici, dans la même collection et selon des principes analogues, L'Occitan redde e ben : lo Lemosin, de Dominique DECOMPS et Gérard GONFROY. Je suis heureux de saluer la sortie de ce livre et de son accompagnement sonore, qui consacre une nouvelle percée de l'occitanisme conquérant, patient et têtu, mais parfaitement conscient de ce qu'il peut désormais apporter à une nouvelle vision de l’homme et de l'histoire. J'ai parlé ailleurs, dans la préface du manuel gascon, du double niveau de la conscience occitane d'aujourd'hui, qui est à la fois conscience d'une communauté et conscience d'une régionalité, autrement dit d'une unité linguistique fondamentale (que l’intercompréhension entre les grands dialectes prouve largement), mais doublée de réalisations régionales spécifiques : ce qui conduit, sur le
plan didactique, à une attitude de souplesse qui sache allier toujours la rigueur normative de la langue écrite au respect de la parole concrète.
De cette dialectique, les auteurs sont parfaitement conscients et ils ont tenu à l’exprimer dans le titre même de leur méthode, montrant bien par là que le limousin n'est à leur yeux qu'un rameau, comme dirait Mistral, de notre langue une et multiforme. Un rameau, et non des moindres. Car comment nier le rôle de premier plan joué par le Limousin et son dialecte dans la grande clarté occitane du moyen âge ? Certes, on pense de moins en moins aujourd'hui que le Limousin ait été le berceau de la Koiné médiévale, aussi bien troubadouresque que religieuse ou véhiculaire : on situe ce berceau volontiers plus au sud. Il n’en demeure pas moins vrai que c'est en Limousin qu'ont chanté quelques-uns des troubadours les plus prestigieux, parmi les plus grands et les plus anciens. |l y a là une tradition culturelle qui ne s’oublie pas.
Voici donc ce troisième manuel OMNIVOX consacré à l'occitan, qui a voulu être le véhicule d’une langue repensée dans toute sa dignité, mais encore bien vivante et bien enracinée. En effet, plutôt que d'élaborer une synthèse interdialectale qui aurait conduit à une langue plus ou moins artificielle, les auteurs ont préféré porter leur choix sur une zone bien déterminée du Haut-Limousin : la région gravitant autour de Pompadour et de Lubersac. Cette région, qui occupe une position centrale dans l'ensemble du domaine a par là le mérite d'être contiguë à deux autres sous-dialectes qui lui sont très proches : le bas-limousin et le périgourdin.
Ils ont donc visé avant tout à l'authenticité, reflet d'une langue concrète et encore incrustée dans sa réalité socio-culturelle. D'où cette volonté de ne pas privilégier les archaïsmes littéraires et d'accepter parfois certains francismes ou certains vulgarismes (ce qu'on pourrait peut-être leur reprocher) ; mais volonté aussi d'utiliser, comme cela se fait spontanément dans l'acte de parole occitane, les possibilités d'adaptation et de création de la langue : volonté en un mot de ne pas considérer l'occitan comme un patois qui en est à son dernier soupir, mais comme une langue romane à part entière. A cela s'ajoute, et allant dans le même sens, le naturel, le pittoresque, voire le charme des dialogues.
Le gros œuvre a été surtout confié à Dominique DECOMPS, limousinophone spontanée, élevée en milieu rural où elle continue de vivre et d'exercer ses activités. La systématisation et la rigueur scientifique de l’ensemble sont dues à Gérard GONFROY, notamment pour ce qui est de la conception linguistique et de la vision pan-occitane de la langue. Nous retrouvons bien là, sur le plan de l'élaboration de la méthode, la dialectique dont j'ai parlé : entre le concret et l’abstraïit, entre la conscience d'une régionalité concrète et celle d’une communauté qui la transcende. Une collaboration de ce type est peut-être le signe d'une nouvelle vision de la culture.
Mais nous nous égarons. Souhaitons simplement, pour finir, le plus vif succès à cette nouvelle méthode occitane de la collection OMNIVOX : elle le mérite amplement.
Pierre BEC